Samplement ?
Si le rap a, au cours de son histoire, régulièrement dû faire face aux reproches divers d’un certain nombre de ses adversaires, il s’en trouve un élément en particulier qui continue encore aujourd’hui à être la cible d’une grande partie des critiques : le sampling.
Vol et facilité, tels sont les deux qualificatifs que l’on peut voir brandis par les pourfendeurs de la musique rap. Laissons libre cours à chacun de juger la question du « vol » supposé que représenterai le sampling, et intéressons plutôt à cette deuxième idée affirmant que le sampling serait un procédé peu noble car « facile ». Il sera ainsi, dans cette optique, prit en exemple le premier album de Pete Rock et CL Smooth, « Mecca And The Soul Brother », l’un des albums de rap les plus complexes en termes de sampling jamais produit, nous offrant de ce fait un appui solide nous permettant de réfuter la prétendue facilité du sampling.
L’un des premiers éléments observables dans l’analyse des morceaux de l’album est le nombre de samples utilisés. Si certains s’imaginent qu’un morceau de rap se constitue de par le sampling d’un, voire de deux morceaux, cette idée se voit défaite ici, Pete Rock utilisant sur cet album en moyenne entre cinq et six samples. En effet, chaque instrument se voit samplés d’un titre différent, que ce soit la batterie, la basse, la guitare, le saxophone ou les voix. Mais de plus, chaque morceau contient un sample différent du précédent. Pete Rock ne réutilise pas un même sample de basse ou de batterie d’un morceau à l’autre ; chaque titre contient un sample différent d’un même instrument, conférant ainsi un caractère et une architecture unique à chaque morceau.
Le style musical des samples utilisés ensuite. Une variété importante de styles musicaux se côtoient sur l’album : disco, funk, jazz, pop, rock, blues, R&B. Il se repère ainsi au travers de tous ces courants la profondeur et l’imposante bibliothèque musicale acquise par Pete Rock. Dépourvu d’internet à l’époque, le producteur se devait de partir à la recherche d’un grand nombre d’album ou de morceau, lui permettant d’élargir son matériel de travail. C’est ainsi qu’un producteur de rap (à l’époque du moins), bien loin de l’individu renfermé dans sa culture (hip-hop) et sa musique (rap) était en réalité totalement ouvert au monde de la musique dans son entièreté, puisant l’inspiration dans un nombre important de styles musicaux, lui conférant un background musical extrêmement riche et diversifié.
La construction des morceaux ensuite. Si chaque morceau est unique et porte en lui une ambiance et une atmosphère qui lui est propre, il s’observe également un certain schéma que l’on peut retrouver dans plusieurs morceaux. La variation au sein d’un même beat par exemple. Pete Rock s’est fait l’un des principaux artisans de ce procédé, à savoir de varier l’instrumental à l’intérieur d’un même morceau. On retrouve par exemple ce procédé dans le premier morceau de l’album, « Return Of The Mecca ». Une fois l’intro terminée, le beat démarre, boom-bap standard, minimal. Après quelques secondes, insertion d’une boucle de saxophone, répétée comme en écho. Le beat semble monter en crescendo. Arrête court de la boucle, puis le refrain démarre. On voit ici qu’au sein d’un même couplet, le beat s’en vient changer de forme. Loin d’être linéaire, l’instrumentale se modifie, se transforme, enrichi par l’ajout de boucle d’instruments supplémentaires.
Autre point commun entre les morceaux : le refrain. Aucun refrain n’est rappé. Un seul chanté, sur « Lots Of Lovin », ou des voix tout juste chantonantes comme sur « The Basement » ou « Act Like You Know ». On ressent comme une volonté de laisse la place à la musique, au beat. Un espace où la musicalité n’est pas interférée par la voix. L’instant principal, fatidique du morceau est laissé à l’instrumentale seule, laquelle se voit ainsi conférée l’unicité du titre, comme sur le morceau « They Reyminisce Over You (T.R.O.Y.) », où c’est bien cette boucle de saxophone sublime et intemporelle qui reste gravée en nous, et qui sera en grande partie responsable d’avoir propulsée ce morceau au panthéon des morceaux de rap le plus cultes qui soient.
Enfin, l’atmosphère. Cette atmosphère générale ressentie à la fin d’une œuvre artistique. Cette sensation non observable empiriquement, mais pourtant présente en nous à la conclusion de l’écoute entière d’un album. La partie la moins explicite, et donc la plus difficile à concevoir pour un artiste. Comment se met-elle en place ? On ne peut l’expliquer. Peut-être par le choix des samples opéré par le producteur (le morceau, son style, l’instrument choisi, la boucle sélectionnée,….). Peut-être au travers des spécificités nouvelles et inédites apportées par le producteur (variation de l’instrumentale, refrains,…). Peut-être encore par la concordance parfaite entre une instrumentale et le flow qui l’accompagne. Probablement au travers de tous ces éléments. Mais lorsque la magie s’opère ainsi, une explication rationnelle semble être vaine. Si ce n’est ceci : seul le travail permet la réalisation d’une œuvre artistique dotée d’une ambiance et d’une singularité propre.
Un travail facile donc ? À méditer…
Tracklist:
- Return of the Mecca
- For Pete’s Sake
- Ghettos of the Mind
- Lots of Lovin
- Act Like You Know
- Straighten It Out
- Soul Brother #1
- Wig Out
- Anger in the Nation
- They Reminisce Over You (T.R.O.Y.)
- On and On
- It’s Like That
- Can’t Front on Me
- The Basement
- If It Ain’t Rough, It Ain’t Right
- Skinz