10 Pièces
Queens, New York, un appartement. J’ai probablement fait le tour de ce logis des centaines, voire des milliers de fois. Je me souviens de la première fois que je m’y suis aventuré. Je ressentais un sentiment d’excitation qui se confondait à une certaine appréhension dès lors que je n’en entendis que des louanges. Et pour être honnête, j’éprouvais également une certaine indignation envers ma propre personne, indignation qui naissait de ne l’avoir encore jamais visité. Pression sociale ? Probablement. Mais tout individu traverse un épisode – qui dure toute sa vie – où il se développe par le biais de l’influence des autres. Et par autres, j’entends toute forme d’autre : un auteur, une maîtresse d’école, un inconnu et j’en passe. Qui eut alors cru que cet appartement me contraindrait à revêtir l’habit d’un héroïnomane, seringue à la main, accentuant progressivement la force de sa poigne, déterminé à perforer sa peau, permettant à la substance de se propager dans l’ensemble de sa personne. J’étais seul et résolu à l’examiner minutieusement.
La première pièce que j’ai visitée est naturellement le hall d’entrée. Un tramway passe au-dessus de nos têtes, dissimulé derrière des réseaux de câbles complexes et noircis par l’amertume de l’éther. La proximité est telle que je parviens à me projeter dans le véhicule métallique. Je n’entends plus que le vrombissement assourdissant des jantes d’acier contre les rails. L’atmosphère devenant alors de plus en plus oppressante, je focalise mon attention sur les trois gangsters qui se tiennent debout vacillant de gauche à droite, imitant le mouvement d’un métronome, en harmonie avec les mouvements irréguliers du wagon. Ils discutent bruyamment en parlant un jargon que je peine à décoder. L’un d’entre eux sort un long joint de son paquet de cigarettes, le place au bout de ses lèvres et l’allume. Il en avale une grosse bouchée et exhale la fumée en l’air qui épouse mollement la forme bossue du plafond. L’odeur de l’herbe envahit alors immédiatement l’entièreté de la pièce. Ma présence ne semble pas les incommoder, jusqu’au moment où je réalise que dans ce wagon, seule mon absence est incontestable. Mon esprit qui achevait sereinement son périple retourne au hall d’entrée, qui, en vrai, est un tramway.
J’aime m’attarder sur les halls, car ces derniers offrent un prélude intéressant au reste des pièces à visiter. Il faut reconnaître que la trace imperceptible que laisse la première impression dans l’esprit de l’inspecteur peut influencer – en bien ou en mal – son avis sur le caractère des autres pièces.
Lors de ma visite des pièces suivantes, l’immersion dans l’ambiance de New York a été immédiate. J’étais alors devenu éponge, prêt à absorber la matière qui m’entourait. Cet appartement pouvait être considéré comme modeste pour l’époque, étant donné qu’il n’était composé que de 10 pièces. De ce fait, l’excursion ne se fait que succinctement. Malgré la petitesse relative du logement, chacune de ses cellules regorge de ressources uniques. Chacune d’entre elles évoque une atmosphère, une luminosité ou une ossature différente. Cet appartement m’a fait subir des ascenseurs émotionnels surprenants ; je passais rapidement d’un sentiment d’extase intense à une profonde angoisse en passant par la mélancolie et l’optimisme. Ces pièces ont cependant un point commun malgré leur caractère hétéroclite : Queens, New York. Il m’était impossible de perde de vue ma localisation actuelle. Ce décor était propre à la côte est des Etats-Unis. Il n’empêche que malgré ses caractéristiques typiques, par sa trame ne suivant aucune norme, il restait innovant.
Avant ma première visite tardive, j’avais entendu de nombreuses rumeurs à son propos. Apparemment, non seulement le constructeur est l’un des meilleurs à exercer le métier, mais de plus, les plus grands architectes de la période s’étaient réunis pour esquisser le chef-d’œuvre. Et je pouvais le remarquer. Bien que pour un regard non intéressé, l’appartement pourrait sembler banal, un regard plus pointilleux pouvait contempler la différence dans sa qualité de production en comparaison à celle d’un autre. Il me semblait en effet que les pochoirs ébauchés par ces architectes étaient parfaitement étalonnés pour la touche du constructeur. Une cohésion se crée alors, et tout finit par sembler désormais logique et sensé. Il va de soi que cette appréciation n’est pas destinée qu’aux fins goûteurs, car n’importe quel potentiel client peut apprécier son caractère singulier sans toutefois le remarquer. Mais il n’empêche qu’en visitant cet humble appartement, je ressentais la passion et l’âme de ses géniteurs se manifester à travers ses murs. Une certaine vibration colorée et lugubre se ressentait simultanément. C’est un doux mélange violent qui ne vous laisse pas indifférent.
Bien que je connaisse par cœur les détails de ces 10 pièces, je ne m’en lasse jamais. Je ressens un sentiment étrange lorsque je pénètre dans l’une d’entre elles. En effet, bien que je me rappelle avoir déjà visité ces lieux, je réalise qu’à chaque fois, un détail m’avait échappé. Qu’il s’agisse de la modeste tapisserie qui me semblait désormais étrangère ou du sol qui grinçait bruyamment sous mes pieds, je me surprends à les redécouvrir à chaque visite. De nombreuses années après sa découverte, je me pose toujours des questions à son propos. Il me semble parfois que son géniteur lui a conféré la faculté de se métamorphoser, ou d’évoluer au fil du temps. Sinon, comment expliquerais-je cette impression de m’aventurer en terrain inconnu à chaque investigation ? J’en conclus alors qu’il ne s’agit pas des pièces qui se transforment, mais bien de mon humeur du moment qui altère la perception que j’en ai. Ces dernières s’adaptent alors à mon état d’esprit. Elles l’épousent, l’englobent chaleureusement, comme pour la calmer et l’épauler jusqu’à ce qu’elle retrouve une certaine neutralité. La vitalité de ces 10 pièces est la conséquence de l’amour et de la passion que ses architectes et constructeur lui ont transmis.
Par définition, un appartement est un ensemble de pièces destiné à l’habitation. Celui dont je viens de faire l’éloge est bien plus qu’un simple ensemble de pièces pour beaucoup. Il s’agit en effet du plus grand chef-d’œuvre du constructeur, qui n’a malheureusement jamais su faire mieux, comme si toute son énergie était focalisée à l’élaboration de ce dernier. Tel est le revers de la médaille : il n’a jamais eu la capacité de démontrer que ses capacités n’étaient pas limitées. Il n’empêche que sa merveille est et demeurera probablement un objet acclamé de manière unanime. C’est effectivement un ensemble de 10 pièces articulé de manière avant-gardiste qui lui garantit un statut de légende quoi qu’il ait construit par la suite.
Tracklist:
- The Genesis
- N.Y. State of Mind
- Life’s a Bitch (Feat. AZ)
- The World is Yours
- Halftime
- Memory Lane (Sittin’ in da Park)
- One Love
- One Time 4 Your Mind
- Represent
- It Ain’t Hard to Tell