« En garde, I’ll let you try my Wu-Tang style. »
Au VIème avant J.-C., un légendaire guerrier chinois du nom de Sun Tzu écrivit le premier traité de stratégies militaires connu à ce jour, intitulé « l’art de la guerre ». Dans ses écrits, le général y développe ses tactiques guerrières, basées notamment sur l’organisation rigoureuse de ses troupes et sur une analyse extrêmement précise de l’adversaire, conditions essentielles pour mener à bien ses hommes à la victoire.
Découverts par le grand public à la fin du 17ème siècle, ces écrits d’un autre temps ont bien failli rester à jamais dans l’oubli…
Et c’est bien le même sort qui semble se profiler, plus de 2000 ans après, pour Robert Fitzegardl Diggs, aka RZA. En effet, au début des années 90, quand le gamin de Brooklyn décide de se lancer dans la musique, armé sous les bras d’un sampler et de bouquins philosophico-spiritualo-guerrière asiatiques, peu de maisons de disques semblent enclines à le signer. Son destin paraît suivre les traces oubliées d’un de ses maîtres spirituels, Sun Tzu. Mais si le mythique guerrier faisait cavalier seul, le jeune samouraï est lui entouré par une horde de guerrier sanguinaire, assoiffée d’instrus fraîches, aux verbes plus acérés que la lame du katana de Nabeshima Mitsuhige. Et en 93, du haut de leur montagne sacrée, le Clan va alors envahir l’île de Staten Island, puis conquérir l’ensemble du continent, laissant derrière lui un nuage de fumée sombre et hypnotique dont le paysage musical se verra désormais recouvert à tout jamais.
Faut dire que le crew compte dans son armée de kamikazes la concentration d’mcs la plus violente et la plus talentueuse que le hip-hop ait jamais connu. Un bordel sans nom d’une homogénéité implacable. La tâche du général RZA est cependant ardue : gérer son équipe, ses cinglés de soldats, qui ne demandent qu’à se faire hara-kiri un micro à la main, pour répandre leur bile de punchlines et d’égotrips sur les ondes de tout le pays. Mais le bonhomme n’est pas chef pour rien. Derrière son regard de moine shaolin se cache un talent musical hors-normes, qu’il va mettre à profit pour ses soldats, leur offrant un terrain de guerre exceptionnel sur lequel ils pourront attaquer à cœur joie. Car si le 36 chambers a sa place au panthéon, il le doit en grande partie à l’ambiance sonore qui ressort de l’album. Des samples funky-soul, entrecoupé de bruit d’épée fendant l’air, le tout enveloppé d’une noirceur qui rappelle ces ruelles sombres et sales, puant la pisse, où des mecs étranges viennent te demander une cigarette dans ton dos pendant que tu accélères le pas pour foutre le camp vite fait.
Le sergent est néanmoins bien épaulé, avec comme premier colonel GZA The Genius. Si RZA est l’homme d’action, GZA est l’observateur. L’homme de l’ombre. Plus vieux guerrier de la bande, le sage est au-dessus de la mêlée, guide ses troupes sur l’échiquier, toujours un coup d’avance sur l’adversaire, le Bobby Fischer du ghetto. Il faut bien ça pour tenir sous son bras le petit animal déchainé du groupe, j’ai nommé Old Dirty Bastard. Le sale rejeton gueulard, soûl du matin au soir au vieil alcool frelaté, mais dont l’énergie lui aurait ouvert les portes de n’importe quel groupe de punk-métal. La voix crasseuse, l’incontrôlable génial mc est la brute à côté de ses deux truands de cousins, étrillant la rime, tordant ses cordes vocales jusqu’à les écraser pour mieux entonner la chansonnette, comme le témoigne son magistral couplet sur « Da Mystery Of Chessboxin’. » C’est plus du rap, c’est du théâtre. Le journal d’un fou tirant de sa folie une authenticité et une fougue qui font encore aujourd’hui la légende d’ODB.
Le trio en place, le combat peut commencer. Et c’est sans crainte qu’ils envoient leurs soldats en premier dans la bataille. Ghostface lance la première attaque. La violence est trop grande, on ne s’en relèvera plus. « Ghostface catch the blast of a hype verse, my glock burst, leave in a hearse, I did worse. » Les derniers survivants n’auront même pas le temps de se relever, la deuxième déferlante portée par le Chef (cuistot celui-là) Raekwon arrivant derrière, un amuse-gueule qui loin de nous faire marrer nous donne déjà un aperçu de la cuisson à laquelle ont va se faire servir. Les deux compères sont bientôt rejoints par un troisième assaillant, l’inspecteur Inspectah Deck, qui s’allie au deuxième pour nous offrir un des (le ?) plus grand morceau de l’histoire du rap, C.R.E.A.M., où son couplet légendaire suffit à faire hérisser les poils du plus glabre auditeur.
Mais vous avez bien sûr retenu le refrain, ce chant immortel entonné par le cadet de la troupe, Method Man. 22 ans et déjà la carrure d’un leader. Le minot se permet même un hymne à sa gloire. 5 minutes pour une leçon de rap. « I kick ballistics missiles and shoot game like pistol, clip is loaded when i click bang dang a Wu-Tang slug hits your brain. » Un dernier défonçage de crâne à la Donny Donowitz. Le clan a vaincu. Les seconds couteaux Masta Killah et U-God terminent le travail, retirant la lame sur le corps encore chaud du hip-hop qu’ils viennent de conquérir, brandissant à son sommet la bannière de l’aigle noir flottant encore 20 ans après.
La légende raconte que Sun Tzu n’aurait en réalité jamais existé. Un fantôme dont les écrits seraient les derniers fragments immortels d’un guerrier sans visage. Mais peu importe. Les vraies légendes s’écrivent et survivent au temps, avec ou sans visage. Un peu comme cette armée à 9 têtes, aux visages masqués, accroupie dans ce couloir sombre tel un seul homme, dont la réelle figure resplendit en arrière plan ; l’aigle comme symbole de la légende d’un Clan qui risque elle aussi de perdurer pour encore de longs siècles à venir…
« Looks like the work of a master »
Tracklist:
- Bring Da Ruckus
- Shame on a Nigga
- Clan in da Front
- Wu-Tang: 7th Chamber
- Can It Be All So Simple
- Da Mystery of Chessboxin
- Wu-Tang Clan Ain’t Nuthing ta Fuck Wit
- C.R.E.A.M.
- Method Man
- Protect Ya Neck
- Tearz
- Wu-Tang: 7th Chamber-Part II