Mount Lee
Quelque part dans la vallée de Los Angeles, 16 heures, un après-midi d’été…
-Yo K !
-Mmm…
-Ho K !
-Mmm…
-K, réveille-toi !
-Ta gueule…
-Ça fait combien de temps qu’on roupille sur cette colline ?
-Mmm…
-Ça doit bien faire 2 heures, en tout cas
-Mmm…
-Putain, j’ai fait un de ces rêves ! Faut qu’jte raconte. Ecoute ça : on était des superstars ! La vérité ! On se promenait à L.A., comme d’hab, tranquille, et les gens nous arrêtaient, nous prenaient en photo ! Dingue, j’te dis. Le soir, on était à une fête, entourés de pleins de gens connus, en smoking et tout, qui buvaient des cocktails dans de longs verres à vin. Pis y’avaient d’autres rappeurs aussi. Des mecs connus. Enfin, y avaient l’air connus. Ils nous checkaient et tout. J’me suis réveillé au moment où une jolie blonde en robe blanche à paillettes s’est arrêtée devant moi et m’a dit de la suivre dans une chambre à l’étage. On est parti en courant, en se tenant par la main, et dans la précipitation, boum, j’me casse la gueule sur une marche, je dégringole en bas des escaliers, et hop j’me réveille ! Franchement, c’est dingue, non ?
-Mmm…
-Me casser la gueule si près du but, alors que j’allais pouvoir me taper cette gonzesse. Et pas n’importe quelle gonzesse ! Un vrai mannequin j’te dis ! Quel manque de cul quand même.
-Mmm…
-Bon, en même temps, c’est quand même bizarre comme rêve, non?
-Mmm…
-C’est vrai quoi, c’est pas comme si je rêvais qu’on devienne des cons de rappeurs à la mode.
-Mmm… ouais, mais ferme-là s’te plaît…
-Après, faut quand même dire que si on devenait des superstars, ça serait pas volé non plus. C’est vrai quoi. Alors que, contrairement à tous ces cons qu’on voit défiler à la télé et qu’on pas une once de talent, nous qui bossons comme des tarés et qui proposons de la qualité, pas un chocolat, rien. Le monde tourne à l’envers, franchement.
-Mmm…
-Attends hein, comprends-moi bien ; je les envie pas du tout ces mecs, loin de là ! Leur monde là, c’est pas le mien. Et j’en suis bien content. Il me répugne même, leur monde. Mais c’est plutôt un constat général ; ils sont célèbres, et pas nous. Ils font de la merde, et nous de la qualité. Pourquoi on est pas plus reconnu alors, hein ? Tu peux m’le dire ?
-Beu… c’est p’tête parce qu’on parle que de bières et de barbecue dans nos chansons…
-Non, non, non ! ça marche pas, ça. J’me suis fait la réflexion aussi. Et quand tu regardes bien, le rap, c’est parti de ça. Faire la fête et des barbecs. C’était des éléments essentiels du hip-hop. Donc, nous reprocher de parler de ça, ça a aucun sens. D’ailleurs, eux aussi, ils parlent de fêtes et de gonzesses. Ils parlent même que de ça. Baiser, fumer, biftons. Donc ça marche pas, ta théorie !
-Ba, qu’est-ce que tu leur reproches alors, s’ ils font pareils que nous ?
-Non mais tu comprends pas… J’leur reproche rien moi, à ces mecs… Enfin si, mais bon…On parle des mêmes sujets mais pas de la même manière aussi… Pis c’est plutôt l’industrie que je critique… Et eux aussi… Enfin tu vois…
-T’es jaloux ?
-Ouais, jaloux, c’est ça ! Faire de la merde pour rouler en BM et se pavaner avec des gros culs toute la journée ! Non merci !
-Bah alors ?
-C’est musicalement que ça pêche, voilà où je voulais en venir ! La musique, c’est quand même la base de tout ! Ok, y’a le mc, le gars doit pouvoir assurer, mais comme on l’a dit, à la base, le texte, c’était pas forcément ça, le plus important. Le son, en revanche, ça ça comptait. Si t’avais pas la qualité musicale, tu tenais pas 5 minutes. Et maintenant, y font tous la même chose ! Sans déconner, faut l’avouer. Elles sont où aujourd’hui les influences funk, blues, et toutes les autres ? Disparues ! Les mecs doivent même pas savoir qui est James Brown. Alors que nous, notre musique, on l’a travaillé. Et tu le sais ! Musicalement, on pousse le truc loin. On a taffé avec plein de musiciens, on passe des heures sur chaque morceau, on diversifie chaque instrus, on a notre propre truc, quoi. Parce que nous, on aime la musique. Pas les gros culs ou les biftons. Bon, on aime bien ça aussi, faut le reconnaître. Mais avant d’être des stars, on est des artistes. Et pourtant, pas de reconnaissance, pas de vitrine médiatique, jamais mentionné, rien. Qu’est-ce que tu dis de ça ?
-Rien.
-Comment ça, rien ??
-Bah, rien.
-Donc, t’es en train de me dire que t’acceptes, là, avec ton gros cul posé sur cette colline à roupiller, tu reconnais qu’on vit aujourd’hui dans un monde où la médiocrité est médiatisée, mis en avant, mais que quand deux types se bougent le cul pour essayer d’amener quelque chose de nouveau, travaillent comme des dingues pour offrir aux gens une musique de qualité, en ayant mis leurs tripes et leur cœur à l’ouvrage, et qu’eux tombent dans l’oubli, c’est la vie et on passe juste à autre chose ? C’est ça que t’es en train de me dire ?
-C’est ça.
-Va crever.
-Arrête de ramener ta morale là-dedans, Thes. Tu parles de musique là. Y’a pas de juste ou d’injuste, de vrai ou de faux, de bien ou pas bien.
-Oui, mais…
-La notion de valeur ne s’adresse pas à l’art. Elle ne s’adresse à pas grand-chose, d’ailleurs. Tu cherches à établir une hiérarchisation des éléments, comme si un domaine aussi vaste et divers que la musique pouvait se trouver cloisonner dans un tableau binaire qui comprendrait une esthétique plus légitime qu’une autre. Tu te perds dans des catégorisations qui sont avant tout d’ordre sociale, c’est-à-dire dépendante du milieu dans lequel tu évolues, ou as évolué. Un ouvrier issu du sous-prolétariat n’aura pas la même conception de la musique qu’un bourgeois descendant d’une riche famille entrepreneuriale. Tu fais un amalgame entre ta perception individuelle et sectaire et un absolu universel donc tu te crois être le détenteur. C’est ridicule.
-Non, mais…
-Ce que je veux dire, Thes, c’est que la musique, tu vois, c’est un peu comme les nuages. Un mec te dira qu’il voit dans le ciel un dromadaire, alors que toi, tu vois une chaise. Et il a beau insister, tu verras toujours ta chaise et lui son dromadaire. Même s’il essaie de te le montrer, tu seras toujours persuadé que ça ressemble plus à ce que toi tu vois.
La musique, tu vois, ça touche à quelque chose qu’on n’explique pas. Un truc se passe dans ton cerveau, dans tes tripes, dans ton cœur ou dans ce que tu veux. Un truc fort. Puissant. Tellement puissant que tu sais que t’es le seul à avoir ressenti ça de cette manière. C’est ce qui est beau. Et c’est aussi ce qui rend tout jugement de valeur caduque. Juger un sentiment, une émotion, ça n’a pas de sens.
-Ouais, mais…
-C’est de la musique, Thes. Simplement de la musique.
-Ouais, t’as sûrement raison…
-Bien sûr que j’ai raison. Bon, envoie-moi une cannette avant que je retourne pioncer.
-Hé K, tu connais la blague du rappeur qui avait 5 phallus ?
-Mmm…
-Bah, son slip lui va comme un gant.
-Mmm…
-Attends, j’en ai une autre…
….
-Are you on dope ?
-Yes.
-What kind ?
-Musical dope.
-You get high ?
-Yes.
-Offa’what ?
-Music.
-Are you on a trip or something ?
-Yes.
-What kind of a trip ?
-Music.
Tracklist:
- Intro
- Jappy Jap
- The Suite For Beaver, Pt 1
- The Suite For Beaver, Pt 2
- O.S.T. (Original Soundtrack) (Feat.Odell)
- Empty Bottles Of Water
- Jim Sr.
- The Outrage
- The Hang Loose
- The Double K Show
- Tales Of Kidd Drunkadelic
- Keepin It Live
- The Dig
- The Heat
- Montego Slay
- The L.A. Song
- 8 Is Enuff
- Acid Raindrops (Feat. Camel MC)
- The Joyride
- The Breakdown (Feat. Headnodic)