On parle de « storytelling » dans le rap lorsqu’un morceau a pour but de narrer une histoire ou un récit. Cette forme de texte est particulièrement représentée dans le rap américain. Le morceau dont il est question ici est à ce titre régulièrement considéré comme l’un des plus grands morceaux de rap qualifié de « storytelling ».
La mise en scène d’abord : deux soldats américains, en pleine guerre du Vietnam, s’adressant à nous, ou à eux-mêmes. Monologue intérieur, lettre écrite ou confession à un interlocuteur. Deux visions antagonistes d’une même guerre, d’un même vécu. Une mise en scène extrêmement astucieuse, permettant d’exposer le contraste de deux individus plongés dans l’horreur de la guerre.
Le flow ensuite. À l’époque de ma découverte du morceau, je considérais Vinnie Paz comme le meilleur rappeur qui soi. Et effectivement, son couplet, le premier du morceau, est magistral. Mais que dire du deuxième couplet ? Ce morceau m’a fait découvrir R.A. The Rugged Man. Et quelle découverte. Probablement l’un des plus grands couplets du hip-hop. La vitesse d’exécution est dantesque, la précision des placements hallucinante, le tout dans une diction parfaite. La vitesse et la violence combinées à une virtuosité et une maîtrise absolue. Le genre de couplet dont on ressort abasourdi, muet.
Les paroles ensuite. Ce morceau fait partie de cette catégorie de musique qui vous retourne deux fois : une première à l’écoute, et une deuxième à la lecture des paroles. La détresse du premier soldat face à la folie du second. Le plus bouleversant étant peut-être que R.A. narre ici l’histoire vraie de son père, ancien combattant du Vietnam, ayant été victime de l’ « agent orange », dont ses enfants subirent également les conséquences, la soeur de R.A. étant née avec un handicap lourd suite à cela.
Enfin, le beat. Cette voix effrayante et effrayée, résonnant tout au long du morceau comme une lente agonie. Ce chant du désespoir, devenu pleur, s’écriant par-dessus ces bruits de bombes et de mitraillettes, s’entrecoupant parfois derrière ces basses guerrières, sauvages, nous plongeant en pleine forêt humide et sale, devenue champ de bataille, ou plutôt cimetière à ciel ouvert.
L’horreur et la peur projetées en plein visage, portées comme un coup à l’estomac. Rarement un morceau n’aura réussi à décrire la guerre de manière aussi puissante. Si la force des images parvient régulièrement à nous choquer, la force d’une musique et des paroles l’accompagnant le peut tout autant. Celle-ci m’aura traumatisé à tout jamais.