Violence
La violence a ceci de particulier d’être unanimement condamnée tout en faisant pourtant partie intégrante de chaque individu. On peut effectivement différencier plusieurs types de violence (violence envers autrui, violence envers soi-même, violence verbale, physique,….) dans lesquelles une hiérarchie semble établie entre une violence fortement condamnable (celle exercée envers autrui) et d’autres types de violence moins incriminable (violence envers un objet par exemple). Mais malgré cela, tout type de violence reste cependant appréhendé sous le prisme de la négativité, d’une émotion mauvaise, à canaliser au maximum, voir même à supprimer. Le problème étant que tout individu s’est déjà vu ressentir au fond de lui une forme de violence, s’y laissant même parfois submerger. Etant une émotion vécue par tous, il semblerait plus à propos d’observer sa fonction, voir son utilité, ce qui pourrait peut-être nous amener à lui reconnaitre certaines vertus…
Cette introduction va permettre d’orienter cette question de la violence sur un thème qui nous intéresse ici, à savoir la musique. La musique est porteuse d’émotions diverses, allant de la joie à la tristesse, du bonheur à la nostalgie, mais également à la colère ou la violence. C’est donc à ce propos que l’album dont il est ici question a été choisi. Car cet album est intrinsèquement lié dans ma conscience à la violence, en l’occurrence à ce sentiment de colère, ressenti plus jeune, orienté vers un objet inconnu, et sans cause réelle.
Les émotions ressenties à l’adolescence semblent parfois s’imprégner en nous plus fortement que celles ressenties par la suite. La jeunesse semble exposée plus régulièrement et plus intensément aux émotions. Cette violence semble en tout cas être apparue sans cause réelle. Elle semble en réalité avoir toujours été présente, comme toutes nos émotions, enfouies quelque part au fond de notre estomac, surgissant alors par la perception d’élément déclencheur, en l’occurrence la musique. Je me rappelle marcher dans la rue, un soir d’hiver froid, sombre. La neige tombe régulièrement, lentement, de petits flocons glacés, venant vous brûler la nuque, vous engourdir les mains, les pieds, frappant vos oreilles d’un bourdonnement sourd et enflammé. La nuit est déserte, la rue silencieuse. Le crissement de la neige s’échappe comme seul bruit de sous mes semelles. Les lampadaires illuminent d’une lumière orange et obscure l’amoncellement de neige empilée sur les trottoirs. Une voiture s’en vient parfois salir la chaussée devenue gadoue de son liquide brun, de son gaz noir, formant une neige écrasée et charbonné au milieu de la route. Excepter vos pas et les rares voitures, pas un bruit. Aucun oiseau ne chante, aucun vent ne vient chuchoter à vos oreilles, aucun avion de vient transpercer l’air du ronronnement de son moteur. Aucune branche d’arbre ou de buisson ne gémit, aucun chat ne miaule. Le silence total, absolu, oppressant, s’ouvrant comme un vide en face de ce ciel noir et abandonné. Une peur s’empare de moi. Une peur mélangée à une nostalgie, une tristesse inexpliquée, simple reflet de ce paysage froid et lugubre. Une mélancolie profonde.
Et alors soudain, du fond de mes écouteurs, surgit cette voix effrayante, grasse, suivi de ces premières notes de xylophone. Une deuxième voix, plus aiguë, mais tout aussi angoissante résonne alors. « And Pharaoh said.. and Pharaoh said ! That I should obey his voice ! »
Boum. Le beat démarre. Fort. Violent. Il tambourine dans mon ventre, mon cœur se calque au rythme des basses. Je le sens cogner en moi. En colère. Le visage enfoui dans mon capuchon, ma tête se met à balancer de haut en bas. Une première voix. Celph Titled. Les présentations. « But right about now, Chief Kamach, split their motherfuckin’ head ! ». Le premier couplet démarre. Dantesque. La voix de Chief Kamachi, son flow terrible, écrasé ; tout est juste, à sa place. Tout correspond à mon état actuel. La mélancolie s’est transformée en violence. Non pas une violence destructrice, mais une violence réconfortante. Elle m’accompagne, me rassure dans cet environnement froid, triste, sans vie. Elle réchauffe mon cœur désormais en mouvement. Je ne suis plus seul. Un enchainement de MC au flow plus furieux les uns que les autres vient s’allier à cette musique féroce pour m’accompagner dans cette traversée d’un hiver glacé et trop silencieux. Les clochettes lancinantes au fond de l’instru me maintiennent dans cette ambiance hivernale de Noël. Mais c’est désormais un hiver rouge, brûlant, énervé, vivant qui s’ouvre en moi. La violence est en moi, mais m’accompagne, me maintient. Elle ne s’extériorise pas sur autrui, sur un objet ou même sur moi-même. Elle s’identifie à cette musique et à ses voix, elle est excitée mais dans le même temps calmé car entendue. Les pharaons m’ont enlevé, et rien ne peut désormais me ramener sur terre. Les morceaux s’enchainent dans un tempo brutal et jouissif. « Dump the Clip » me projette en plein désert, dans une guérilla portée par des indiens masqués d’un foulard rouge autour des lèvres, chevauchant de formidables chevaux noirs à la crinière flottant au vent, armé de revolver fin de cow-boy au manche brun et au canon gris étincelant. Les balles pleuvent, les chevaux galopent à toute vitesse, les indiens tirent, debout, la lumière éblouissante du soleil s’écrasant sur leur peau mouillée et sur le sable brûlant. Une violence, mais accompagnée de chaleur, de soleil, de mouvement, d’imaginaire. Une violence réchauffante et salvatrice. Comme en reflet de ma situation intervient le prochain morceau, « Black Christmas ». Neige froide et fine, poussée par un vent glacial, fouettant l’air au travers de la lumière rouge des lampadaires sombres de la rue. Obscure, telle est la vision de Noël s’échappant de ce morceau funeste et funèbre. Le sourire des pères Noëls s’efface sur ces mesures tranchantes et acérées. Les chants de Nöels enfantins disparaissent, engloutis par le son cuivré de cette boucle menaçante. Ma ballade ne cesse de s’obscurcir violemment. Mon poul s’accélère. Les tirs de mitraillette résonnent autour de moi. La guerre s’ouvre lentement devant moi. Le beat démarre, angoissant, inquiétant comme le cliquetis d’un compte à rebours déjà trop avancé. La voix de Doap Nixon m’interpelle. C’en est fini pour moi. Les basses s’arrêtent. Les violons aussi. « Frontline » démarre. Une explosion. Une bombe au napalm s’abattant sur la ville. Dans cette nuit noire de décembre, les maisons brûlent, les arbres s’enflamment, les routes se calcinent. Partout des flammes rousses, virevoltantes de leurs pointes jaunes, telles des épées d’or transperçant le ciel. J’entends l’armée avancer, une masse compacte et gigantesque surgissant des flammes, leurs boucliers résonnant au son des violons endiablés, leurs longues capes noires fermées, leurs visages encapuchonnés. Le sol tremble, le vent se lève. La violence a ramené la vie autour de moi. Je sens mon sang couler à l’intérieur de moi, comme un immense courant, une large rivière abreuvant mes muscles et mes os. Il me réchauffe, durcit ma gorge. La fumée s’échappe de mes respirations. Le morceau « Seven » a démarré. Il semble s’animer en moi comme une lumière, comme une boule d’énergie puissante frappant à l’intérieur de mon thorax. Elle tremble en remontant dans ma gorge, continue de trembler en atteignant mes pupilles désormais humides. Une émotion intense m’envahit. Cette émotion qui me réchauffe, qui tremble en moi, qui me rappelle que la vie est autour et en moi.
Ma tête continue de se balancer sous mon capuchon. L’album se termine. Je reviens à moi. Je reviens là où je suis, après avoir parcouru cette rue noire et glacée dans cette soirée de décembre. Je n’ai pas accéléré le pas, pourtant mon corps s’est réchauffé. Mes mains ne sont plus engourdies, le sang semble couler à nouveau dans mes orteils. Je me sens vif, alerte. La mélancolie qui m’habite n’a pas disparu, mais s’est quelque peu effacée sous la gomme de mes émotions. Je m’en retourne chez moi, rassuré, prêt à affronter ces derniers mètres de neige et de gel.
Ce parcours émotionnel vécu au milieu de ce trottoir, par cette nuit froide et obscure de décembre, fut ressenti au travers d’une violence. Une violence bien réelle, existant en moi, dévoilé par la musique. Un dévoilement fort, intense, réchauffant, vivant. La violence n’est pas positive. Mais elle est bien réelle, existant en chacun d’entre nous. Comment l’apprivoiser ? Peut-être par la musique. Celle d’une armée de pharaons par exemple…
Tracklist:
- Swords Drawn
- Time To Rock
- Dump The Clip
- Black Christmas
- Blue Steel
- Gun Ballad
- Strike Back
- Frontline
- Through Blood By Thunder
- Murda Murda
- Bloody Tears
- Seven
- Drama Theme
- Pages In Blood
- D And D
- Don’t Cry