Le Sensei

Rappelle-toi la cour d’école.

Celle que tu traversais, le cœur en alerte, le ventre lourd. Les mains moites, la gorge sèche. Toisé du regard de chaque côté. Scruté par les bandes, les filles et les grands.

On avait notre bande ; on n’avait pas peur. La cour ressemblait à une arène ; la foule s’exclamait de tous les côtés ; pourtant, au centre, c’était le désert. Le point à découvert, isolé du monde. Parfois, les coups volaient. On attendait que ça. La cour, c’était ce microcosme qui connaissait sa vie propre, entre liberté et inquiétude. Peut-être qu’on s’y construisait plus réellement qu’à l’intérieur des murs nous entourant. Pas la même construction, probablement.

Dans la cour se devait d’apparaître notre identité. Le plus silencieux à l’intérieur devenait le plus bruyant au dehors. Dehors, la liberté. Mais plus de protection. Dedans, la protection des murs et des adultes. Mais plus de liberté. Il fallait choisir. La liberté fait peur.

Alors, pour accompagner cette peur, on a choisi plus fort que nous. Des samuraïs. Le nôtre s’appelait Shurik’n. La cour alors nous semblait moins obscure. Elle était maintenant comme un immense tatami ; mais une fois les cordes enjambées, nous n’avions plus peur, car derrière nous veillait notre grand maître Sensei. Ses paroles nous insufflaient la force, la confiance en nos forces. La cour nous devenait moins hostile. Nous n’étions plus seuls. Seulement, nous restions des enfants. Sa force nous endurcissait, mais une fragilité persistait. Elle glissait à l’intérieur de nous, parfois légère, souvent pesante, d’une douceur douloureuse, le long de nos jambes et dans nos ventres. Nous n’étions pas des hommes ; seulement de jeunes samuraïs.

Le maître l’a compris. Il nous a écrit la lettre. Du haut de sa force, son kimono de guerrier flottait au vent ; et alors les paroles de cette voix lourde et calme vinrent nous prendre la main ; le souffle du maître nous rappelait de laisser nos larmes glisser le long de nos joues roses. Il nous enveloppait de ses bras, lourd comme des troncs de séquoias, en nous rappelant que l’homme, dans sa force et son obligation de courage, n’en oublie jamais la fragilité de son âme.

Petits, nous avons dû grandir. La peur d’une liberté trop grande pour nos frêles épaules. La frousse d’une cour de récréation trop large. La tristesse, perdus à la recherche du chemin de la vie. La fragilité débordante d’une enfance aux rires immortels et aux pleurs infinis. Nous avions très peur. Mais le grand Samuraï veillait sur nous.

 

Tracklist:

  1. Samurai
  2. Où je vis
  3. L.E.F.
  4. Mon clan (Feat. Fat La Rage)
  5. J’attends
  6. Fugitif
  7. Les Miens
  8. Rêves (Feat. Freeman)
  9. Mémoire (Feat. Sat)
  10. Esprit Anesthésié (Feat. Faf La Rage)
  11. Lettre
  12. Oncle Shu
  13. Sûr de Rien (Feat. Freeman)
  14. Y’a Pas Le Choix (Feat. 3ème Oeil & Sista Micky)
  15. Manifeste (Feat. Akhenaton)