Le Saint-Graal
On parle d’un mythe. D’une légende. De ces histoires que les anciens content encore aujourd’hui aux plus jeunes.
On parle d’un objet devenu relique. Un fétiche du rap, ayant bien failli disparaître à tout jamais.
1995. Une année charnière dans l’histoire du hip-hop. De ces années légendaires, touchées par la grâce, si ancrées dans les années 90. Le rap est au sommet. Les grands noms de cette époque, sans le savoir, sont en train de devenir légende. Immortels, ces albums n’ont, presque trente ans après, rien perdu de leur force.
Une telle puissance, restée intacte au cours des années, ne peut s’expliquer, en grande partie, que par des productions d’une qualité jamais égalée jusqu’à présent. On parle d’instrumentaux qui, écoutés aujourd’hui par n’importe quel aficionados du rap, ne pourraient l’empêcher de basculer sa tête d’avant en arrière. De beats aux influences si multiples que même les innombrables caisses à CD de la cave encombrée de ton père ne contiennent pas. On parle d’une époque où, en plus d’être chacun unique en son style, les producteurs acquéraient une culture musicale extraordinaire. Les heures passées à diger dans les vinyles shops leur ont permis de s’engraisser de nourriture mélodique sans limites, les doigts encore tâchés de cette poussière jaunâtre des pochettes sales, aux odeurs de grenier renfermé.
De ces producteurs, Pete Rock fait partie des généraux. De ces rares génies où la légende s’écrit déjà du temps de leur activité. En 1995, Pete Rock vient de sortir « The Main Ingredient », le troisième album de son groupe formé avec CL Smooth. Acclamé par la critique, il surfe sur la vague de sa renommée, acquise, en plus de son travail avec Smooth, grâce à ses diverses productions avec d’autres rappeurs influents du moment, Nas en tête. C’est dans cette notoriété croissante et méritée que Pete Rock va alors se lancer dans son grand projet : « Center of Attention ».
Son grand projet, car, aux commandes, Pete Rock est l’unique capitaine à bord. Ses lieutenants sont inconnus au bataillon : Rob-O, Grap Luva (le frère de Pete Rock), Ras G, Marco Polo et DJ Boodakhan. Des noms méconnus donc, que Pete Rock sélectionne pour l’accompagner sur son projet. La volonté est claire : cet album sera avant tout l’album de son producteur. Dans le secret le plus complet, le groupe se réunit alors, fort d’un leader au talent incontesté et aux nouvelles recrues, prêtes à devenir les nouvelles têtes marquantes du rap. Le groupe INI voit alors le jour.
Les mois de travail acharné débutent alors. Conscient d’être attendu au tournant, une pression gigantesque sur les épaules, Pete Rock s’enferme alors en studio, bien décidé à n’en sortir qu’une fois le chef-d’œuvre réalisé. Le regard fixé sur ces rues new-yorkaises qu’il arpente depuis sa naissance, il veut, comme tout artiste, retransmettre la réalité de son monde à l’intérieur de son œuvre. Cet album doit être l’album de ses rues. De sa vie.
Mais soudain, le drame..
On sait le monde de la musique être impitoyable. Pete Rock va en faire les frais. Sans crier gare, sa maison de disque va alors le lâcher. Terrer depuis des mois en studio, éloigné de la lumière du jour, le soleil brûlant et impitoyable des maisons de disques va alors le frapper de sa luminosité en pleine figure, une fois la porte du studio ouverte. Harassé de fatigue, prêt à délivrer l’œuvre d’une vie, livré corps et âme à la confection de son œuvre parfaite, le travail se voit détruit.
C’est ici que débute alors la légende. Pendant sept longues années, l’œuvre va disparaître. Détruite ? Caché ? Personne ne sait. Et de l’œuvre, qu’en est-il ? La perfection, cette œuvre d’art ultime que tous attendaient, que vaut-elle ? Silence. Personne n’a entendu l’album. Des morceaux se passent sous le manteau. On raconte qu’ils sont tirés de l’album. Mensonges pour certains. Devenu fou, Pete Rock aurait détruit son œuvre, selon les dires. D’autres prétendent que l’album serait caché quelque part en Egypte, enfoui à l’intérieur d’une pyramide, au plus profond d’un labyrinthe sans issue. Les théories les plus farfelues abondent alors. Une seule certitude cependant : ce qui devait être l’une des plus grandes pièces de l’histoire du hip-hop a disparu, en une seconde, comme par enchantement. A croire, comme le prétendent enfin certains, que cet album n’aurait, en réalité, jamais existé…
Et puis, sept ans plus tard, aussi vite qu’il avait disparu, l’album va réapparaître. Ou plutôt, devrait-on dire, apparaître.
Seulement, sept ans après, l’engouement suscité par ce projet est redescendu. En 95, Pete Rock était en haut de l’affiche. Sept ans après, la notoriété est déjà en baisse. Héros un jour, producteur vieillissant et sur le déclin le lendemain. Le monde de la musique est implacable, et perd vite la mémoire. La sortie de l’album se fait ainsi dans un calme plat, à l’abri des grands médias.
Le monde est parfois cruel. Pete Rock l’aura appris à ses dépens. L’album est un bijou. Le chef-d’œuvre attendu est confirmé. L’œuvre dépasse les attentes. Pour beaucoup, Pete Rock a atteint ici l’apogée de son talent. La quintessence de son art. La perfection ultime de son travail. Des instrumentaux célestes, d’une justesse absolue. L’écho de ses rues new-yorkaises est ici capté dans une pureté totale, retransmise en musique dans un achèvement somptueux. Le roi a gagné sa couronne.
Un problème, cependant. L’époque a changé. Le monde avance, et vite. En particulier le monde de la musique. Dans les années 2000, les sonorités ne sont plus celles du milieu des années 90. Maître absolu en 95, Pete Rock l’aurait été. En 2002, la donne a changé. Les maîtres s’appellent désormais Dr. Dre, Eminem ou 50 Cent. Sept ans de retard.
Cruelle. Mais, là où l’on pourrait en voir une malédiction, va en réalité naitre le mythe. Le public des années 90 est toujours présent en 2002. Et l’album, reçu en messie, en devient légendaire. L’album est copié, gravé, distribué. Les années 90 sont terminées, pourtant, ce dernier vient rappeler à ce public nostalgique la force de cette décennie passée, la beauté de sa musique, le souvenir de ses rues. L’album devient alors idolâtrie. Légendaire. Mythique. Le dernier souffle d’une époque révolue, mais toujours bien vivante.
Les membres du groupe ont aujourd’hui disparu. Tombés dans l’anonymat suite à l’avortement du projet, ceux-ci n’ont jamais pu rebondir par la suite. Pete Rock, quant à lui, à continué son chemin. Reconnu dans le milieu hip-hop comme l’un des plus grands producteurs, il continue à avancer dans le rap, la tête haute, la magie toujours au bout des doigts. Conscient, probablement, que le titre de plus grand producteur de hip-hop aurait dû lui revenir. Sept ans trop tard…
Tracklist:
- Intro (H.I.M.)
- No More Words
- Step Up
- Think Twice
- Square One
- Life I Live
- Kross Roads
- To Each His Own (Feat. Large Professor & Q-Tip)
- Fakin’ Jax
- What You Say
- Props
- Center Of Attention
- Grown Man Sport
- Mind Over Matter
- Don’t You Love It
- Microphonist Wanderlust