Dream Big
« It was all a dream… ». Il ne croyait pas si bien dire. Le rêve est pourtant bien devenu réalité.
« Ready to Die », c’est l’entrée dans le rap d’une nouvelle idéologie : celle du rêve. De la vie de rêve.
Retour quelques années en arrière ; au début des années 90, le rap s’éloigne de son imagerie joyeuse et festive qu’elle arborait à ses débuts pour adopter un discours plus engagé, et par-là même plus sombre, aussi bien au travers de ses paroles que de sa musique. Les couleurs flamboyantes et les rythmes dansants ont fait place à une imagerie sombre et ténébreuse, où la violence des paroles contraste avec le discours de paix et d’unité qui prédominait auparavant. Ce changement est illustré par un grand nombre de rappeur new-yorkais importants de cette époque, des groupes comme le Wu-Tang, Mobb Deep ou encore Organized Konfusion, en passant par des rappeurs tels que Nas, Big L ou KRS-One, ceux-ci ayant pondu durant cette période certains des albums les plus importants de l’histoire du rap.
Mais, en 1994, un gamin de 22 ans va venir à son tour chambouler tout le paysage du rap new-yorkais de son époque.
« It was all a dream… ». La vie de rêve. Notorious Big ne s’en cache pas. Il veut l’embrasser. Evidemment, chez ses prédécesseurs, la question de la réussite sociale et le désir ardent d’élévation au sein de la société transparaissaient également. Néanmoins, celle-ci, au travers de son imagerie, semblait plus s’apparenter à un besoin de réussite face à une détresse, certes elle aussi fantasmée, mais d’un point de vue différent, d’une manière que l’on pourrait juger moins consumériste. Symboliquement, ces rappeurs, se sont en quelque sorte le Tony Montana du début, lors de son arrivé à Miami. Comme lui, ils fantasment sur cette « vie de rêve », mais revendiquent avant tout leur vie de gangster.
Notorious sera le premier à incarner le Tony Montana de la seconde partie. Celui qui dépassera cette vie de truand pour enfin matérialiser cette vie de rêve. Notorious Big a enfilé le costume de Montana. Il est devenu Tony Montana. Et cela jusqu’à sa chute…
La suite s’est illustrée dans cette continuité, notamment par la montée en puissance de son ami Puff Daddy. Par la suite rejoint par Jay-Z, Diddy sera à son tour le premier à opérer un basculement profond dans le monde du rap, à savoir passer du gangster à l’entrepreneur. Du chômeur au patron. D’un besoin vital de faire de l’argent pour nourrir une famille aux millions dépensés en Cadillac et bouteilles de champagne. D’un désir d’élévation sociale à celle de maître du monde. Une nouvelle vie de rêve, poussée à son paroxysme désormais, mais dont les fondations premières sont pourtant héritées par son mentor, Christopher Wallace, « B-I-G, G-I-E, A.K.A, B.I.G. ».
Musicalement, la filiation de « Ready to Die », d’un point de vue idéologique et visuel, s’est ironiquement illustrée par son meilleur ennemi, Tupac, avec son album « All Eyez On Me », qui sortira 2 ans plus tard. L’adage disant que c’est à New-York que tout prend naissance dans le rap se confirme ici, Tupac transposant l’imaginaire bigien à la côte Ouest où il s’est déporté, accompagné de son nouvel ami Dr.Dre, qui, semblablement à Diddy, perpétuera lui aussi ce symbole de réussite, illustré à son tour par la suite de sa carrière dans les affaires, et pareillement, d’un point de vue musical, avec l’album « 2001 », reprenant les mêmes codes visuels et langagiers des deux anciennes légendes.
Biggie est donc l’incarnation de ce nouveau modèle de rappeur. Le rappeur millionnaire, qui a cessé d’uniquement ambitionner à atteindre la vie de rêve pour finalement l’empoigner des deux bras. Cette posture relèvera bientôt du mythe, lorsque Christopher Wallace, alors âgé de 25, se fera brutalement assassiné. Cet événement tragique confortera ce statut d’icône que le rappeur était déjà voué à atteindre par son seul talent, et implantera profondément dans le rap cette volonté de réussite, personnifier par B.I.G. qui, bien que disparu, a, dans l’imaginaire collectif, symbolisé cette vie de rêve, et que cette réussite, caractérisée principalement par l’argent, sera désormais le point d’orgue auquel la majorité des rappeurs médiatiques venant à suivre allaient désormais s’atteler à atteindre. La légende Biggie flottera désormais dans le rap, similairement au corps d’Antonio Montana flottant dans cette fontaine maculée de sang, «it was all a dream » semblant faire étrangement écho à la statue (devenue alors épitaphe) portant la phrase « the world is yours ». Deux gangsters ayant atteint leurs ambitions, et dont la mort résonne tel le sacrifice ouvrant la voie aux nouvelles générations, un corps fusillé immortalisant l’aboutissement d’un rêve, qui semble désormais accessible à tous.
Mais, bien plus cette question, l’intérêt de « Ready to Die » réside dans un autre domaine, à savoir qu’il est à l’origine de la scission de l’univers rap en deux, le séparateur d’un public qui alors semblait uni et indivisible. Désormais, la posture du rappeur et les valeurs auxquels il se référait vont prendre un tournant différent. Le consensus non explicite qui prédominait, à savoir conférer aux rappeurs le rôle de maître de cérémonie porteur d’un discours égayant ou engagé, va s’élargir. Une nouvelle voie s’offre désormais aux Mc’s, la voie du discours de la réussite, de la « vie de rêve ». De cette nouvelle ouverture va alors naturellement apparaître le bruit de l’opposition. En effet, les valeurs prônées par les deux camps semblent dès lors bien trop éloigné pour qu’on consensus semble possible. La dislocation est inéluctable. Les rappeurs ainsi que ses auditeurs devront alors choisir leur camp. Les doyens ou les nouveaux. La vieillesse ou la jeunesse. Le passé ou le futur. L’immobilisme ou l’innovation. La querelle des anciens et des modernes rejouée 3 siècles plus tard.
Cependant, un problème subsiste. Et de ce problème réside tout l’intérêt de la discorde crée par « Ready to Die » ; l’album est une bombe. Un joyau dont le titre de « classique » est apposée dès sa sortie. Elevé au panthéon, l’album est un succès critique et commercial, acclamé unanimement.
Un constat ironique émane alors du problème : l’album de la séparation d’un univers est dans le même temps son centre de réunification. Le point de rupture des deux camps est celui-là même qui les fait se rejoindre. L’album est adulé par tous. Biggie est reconnu par tous. L’album du divorce est aussi l’album de l’union.
En syllogisme, on utilise le terme « paradoxe » pour parler d’une idée « allant contre le sens commun ». « Ready To Die » constitue le symbole de ce paradoxe désormais ancré dans le rap. Un public séparé par ce qui devrait l’unir. Une apagogie dont l’absurdité évidente semble échapper aux deux camps ennemis, prêts à mourir pour la même cause. Un positionnement ? Mais pourquoi se positionner ? Tout cela n’était pourtant qu’un rêve…
« you never thought that hip hop would take it this far… »
Tracklist:
- Intro
- Things Done Changed
- Gimme The Loot
- Machine Gun Funk
- Warning
- Ready To Die
- One More Chance
- Fuck Me (interlude) (Feat. Lil’Kim)
- The What (Feat. Method Man)
- Juicy
- Everyday Struggle
- Me & My Bitch
- Big Poppa
- Respect
- Friend Of Mine
- Unbelievable
- Suicidal Thoughts
Tu est une lumière dans l’ombre des critique artistiques du rap ils school américain.
J’aimeJ’aime