Du bitume à l’idée
Le processus créatif tire généralement sa source de deux éléments distincts : l’idée et la sensation. Ce sont ces deux points de départ utilisés par les artistes d’où va naître le besoin de création et qui orienteront, une fois leur travail démarré, la manière d’aborder un thème particulier.
Le rappeur Medine entre dans la première catégorie. Chez lui, la création prend naissance dans l’idée. Elle est le vecteur principal, la graine première plantée dans la racine de son art, par lequel poussera ensuite son œuvre, aussi bien dans le fond que dans la forme.
« Passe-moi une petite idée j’t’en fais du grand son
Sache que même les plus petits hommes projettent de grandes ombres »
Mais l’idée n’est pas isolée ou statique. Elle est continue, en mouvement permanent. Une idée ne s’arrête jamais, elle se développe, elle poursuit son parcours, sa vie, au travers des périodes et des événements. Ses récits des enfants du destin mettent en lumière cette continuité. L’idée ici développée sera de témoigner de la guerre au travers des yeux d’enfants. Prolongée dans chacun de ses albums, elle prend puissance et écho dans ces personnages silencieux de l’histoire de la guerre. L’enfance subissant la folie adulte. L’idée est ici dénonciatrice. Comme souvent chez Medine.
La dénonciation amenant à la réflexion. C’est probablement ici que Medine se distingue de ses pairs. Loin d’un discours moralisateur ou victimaire, la dénonciation est avant tout orientée sur notre propre fonctionnement. Avant de rapper en studio, Medine scande ses textes face à son miroir. « Le plus grand combat est contre soi-même ». Le discours est entendu et accepté, car appliqué par son géniteur. L’influence de figures militantes comme Malcolm X ou Desmond Tutu est perceptible et revendiquée.
Influence littéraire également. En couverture, le portrait de couleur se détache de la figure en noir et blanc de l’auteur des misérables. La barbe accolée liant le double regard perçant de deux dramaturges de la rue, placardé au-dessus des pavés gris et sales dont ils ont chacun en leur temps été les témoins et les représentants. Deux humanistes, dont le combat de la lutte sociale est exprimé au travers de leur plume. Deux élites de la prose.
Il était question de fond. Qu’en est-il de la forme ? L’intelligence d’écriture se manifeste notamment dans les figures de style utilisé par le rappeur.
« Souvent j’ai des embrouilles
Avec tout c’qui m’ressemble
Mais l’arbre que la hache coupe
A le même bois que son manche »
Une idée et son contraire. Cette sorte de schizophrénie propre à l’humain. Dénoncer un système dans lequel il est lui-même acteur. Schizophrénie de l’idée. Le titre « Porteur Saint » est emblématique de ce style d’écriture développé par le rappeur. Les contradictions de l’application de la religion par l’homme mis en lumière. Ni glorification, ni mépris. Mais un paradoxe. « La foi, une histoire vraie, racontée par des menteurs ». Paradoxe de la religion, mais qui s’élargit en poussant à une réflexion plus globale ; comment concilier nos valeurs dans une société en étant dépourvue ?
« La société n’a plus de raison
Fais- toi une raison mon vieux»
À la manière de Kafka, Medine utilise l’absurde pour illustrer le contraste de l’humain. Eloignée du sens commun, l’absurdité des réactions humaines est une réponse à l’absurdité de l’époque dans laquelle nous vivons.
« Je suis français approximatif
Je me sens comme une girafe avec le vertige »
Pessimiste ? Probablement. Mais en son essence même, le rap trouve le remède à la maladie dont il est issu : l’égotrip. « Grand Paris ». C’est aussi cela sa force. Si l’idée amène à l’absurdité, et donc à la folie, dépouillons le discours d’idéologie. Une idée et son contraire. Deux antagonismes dans une même musique. Medine a compris l’homme. Il a donc compris le rap.
« J’évite pas le problème
J’dis que le problème devrait m’éviter »
Tracklist:
- Le Khan
- Urbain 1er
- Grand Paris (Feat. Lartiste, Lino, Sofiane, Alivor, Seth Gueko, Ninho & Youssoupha)
- Raison Sociale
- Allumettes
- Enfant Du Destin
- Prose Elite
- Alger Roi
- L’Homme Qui Répare Les Femmes (Feat. Noraa & Keblack)
- Papamobile (Feat. 20syl)
- Rappeur 2 Force
- Porteur Saint
- Global