Au milieu de l’océan se dresse un phare. Il n’y a rien autour de lui nécessitant que sa lumière guide les marins. Et pourtant, il est là. A son pied se trouve une plateforme pour accoster. Des escaliers mènent directement à une immense porte d’entrée. Une fois à l’intérieur, on est accueilli par un imposant buste en bronze qui porte une banderole avec cette inscription : « Pas de dieux, ni de rois. Uniquement l’homme ». Plus bas, se trouve une bathysphère qui semble attendre les nouveaux venus qui ont eu le courage de pénétrer le phare. Une fois dedans, la machine se met en route. Elle descend. La bathysphère est entourée par des murs gris et sales. L’air y est pesant. La descente se fait de plus en plus anxiogène.
Mais arrive le moment où le sentiment de claustrophobie fait place à l’immensité vertigineuse du paysage qui s’offre à nous. Comme le suggérait la durée de la descente, la bathysphère s’est enfoncée à des centaines de mètres sous l’océan. Mais l’impression d’infini et de solitude qui caractérise les profondeurs n’était pas là. Les animaux marins n’étaient pas les seuls habitants de cet espace. A leur habitat naturel s’était rajouté une véritable mégalopole.
Des gratte-ciels s’étaient regroupés à cet endroit précis. Leur architecture était directement inspirée des buildings de New York. Des panneaux publicitaires étaient disséminés un peu partout dans cette ville sous-marine. Il y avait vraiment quelque chose de dérangeant à voir des poissons slalomer entre ces immenses tours comme si de rien n’était.
Mais, à peine avait-on le temps de se remettre du choc de ce tableau surréaliste qu’une voix se fit entendre à l’intérieur de la bathysphère :
Mon nom est Andrew Ryan. Permettez-moi de vous poser une simple question : ce qu’un homme obtient à la sueur de son front… Cela ne lui revient-il pas de droit ?
« Non », répond l’homme de Washington. « Cela appartient aux pauvres. »
« Non » répond l’homme du Vatican. « Cela appartient à Dieu. »
« Non », dit à son tour l’homme de Moscou. « Cela appartient au peuple. »
Pour ma part, j’ai choisi d’ignorer ces réponses. J’ai choisi une voie différente. J’ai choisi l’impossible. J’ai choisi… Rapture. »
C’est ce discours que l’on entend lorsque l’on arrive pour la première fois à Rapture. Il est prononcé par Andrew Ryan, le milliardaire qui a bâti cette ville. Né en Russie en 1892, il émigre aux États-Unis en 1927. Pour lui, l’Amérique était le terrain propice à la réussite d’un homme aussi brillant et ambitieux que lui. Il y fonde Ryan Industries, une manufacture d’armes et de produits en acier. Après le crash boursier de 1929, de nombreux programmes sociaux se mirent en place aux États-Unis. Pour Ryan, la montée de ce socialisme écœurant amènera irrémédiablement l’homme à sa perte. Les plus forts n’ont pas à s’occuper et à materner les plus faibles. L’homme ne doit posséder que ce qu’il a acquis par la sueur de son front. Les gens qui bénéficient de ces aides sociales ne sont que des « parasites ». Ce monde n’était pas fait pour lui. Il fallait qu’il s’échappe de cet enfer. Plutôt que subir, Ryan préférait agir.
Il prit alors la décision de fonder la ville de Rapture. Il voulait bâtir une société à son image. Une société où l’homme ne devait sa réussite qu’à lui-même et où personne ne pouvait se mettre au travers de ses ambitions. Cette ville, à l’image de l’égo de son créateur, ne pouvait tenir à la surface de la terre. Il fallait trouver un espace plus grand. Elle devait se bâtir au fond des océans.
Rapture, dont la raison d’être était de libérer les hommes des chaînes du socialisme répugnant de la surface, ne put atteindre son objectif. Les profondeurs des océans étaient censées symbolisées l’émancipation de l’homme nouveau mais, désormais, elles ne représentent que la tombe de ces milliers de personnes qui y étaient venues en quête d’espoir et d’une seconde chance. La société idéale qu’espérait bâtir Ryan s’est transformée en foyer de la pègre et en carrefour du marché noir. La ville a sombré et avec elle, les rêves d’un homme qui voyait les choses en grand, peut-être trop.
Rapture se meurt et dans ces profondeurs, personne ne l’entend crier.