Ténèbres
C’était la fin. Je la voyais arriver.
Je fuyais, courant dans les hautes herbes et les marécages. Je courrais depuis des heures. Mes forces m’avaient quitté, mais je ne le sentais pas. Je ne sentais plus rien. Même l’odeur du souffre et du feu ne s’imprégnait plus dans mon odorat. Ni même les tirs de mitraillettes, les rafales incessantes qui volaient au-dessus de moi, à côté ou à mes pieds. Le bruit des bombes et des obus explosant me parvenait au loin, comme des échos sortant des vallées creusées de ces hautes montagnes m’entourant. Je n’entendais pas plus le hurlement de mes camarades tombés, une balle dans l’épaule, une jambe déchiquetée, un ventre ouvert, un visage brûlé. Ils gisaient dans cette boue, autour de ces amas de fumées. Certains se voyaient secourus. D’autres agonisaient seuls, les boyaux et les intestins gisant sur ce sol spongieux et brûlé.
Je traversais cette terre sans m’arrêter. Le sang coulait de mes épaules transpercées par le poids de mon sac. Ma mitraillette venait frapper ma cuisse à chaque course. L’humidité étouffante faisait couler sur mes yeux de grosses gouttes salées. Elles glissaient ensuite jusqu’à mes lèvres calcinées, puis pénétraient dans ma gorge, m’incendiant jusqu’à la trachée, déjà brûlée par cette course interminable et ces fumées toxiques.
Après avoir traversé ce plateau, je débouchais sur un étang. Je m’y enfonçais. L’eau me grimpait jusqu’au torse. À la surface, des hommes flottaient sur le ventre, zigzaguant entre les nénuphars et les algues. Les moustiques venaient se coller à mon visage. J’avançais avec difficulté dans cette eau verte et poisseuse, les tirs et les cris fusant toujours au-dessus de moi.
Enfin, je parvenais de l’autre côté de la rive, qui s’ouvrait sur une forêt de pins et de cyprès. Je sortis de l’eau et étais prêt à reprendre ma course lorsque j’entendis derrière moi des cris. Je me stoppais net. Les cris se rapprochaient. Je me retournais.
Je découvris alors la horde de guerriers à environ une centaine de mètres de l’étang. Ils couraient dans ma direction, leur arme pointée en l’air, alignée les uns à côté des autres. Ils pouvaient bien être deux cents. Ils déboulaient sur moi, soulevant la terre, faisant trembler le sol, tel un troupeau de chiens enragés, la salive pendante aux lèvres, les yeux injectés de sang. La mort leur pointant du doigt dans ma direction.
Je jetais mon sac et m’enfuis à toute allure, m’enfonçant dans cette forêt obscure. La pénombre se fit instantanément. Les rayons du soleil s’engouffraient à peine dans cette jungle aux milliers d’arbres. Je m’élançais à nouveau dans ma course effrénée. Je fuyais, les bras en avant, m’appuyant et esquivant les troncs énormes qui s’ouvraient à moi. Dans cette semi-obscurité, mes déplacements se faisaient de plus en plus difficiles. Des branches me fouettaient, m’écorchant le visage à plusieurs reprises, les racines me faisaient des croche-pieds, les ronces venaient s’agripper à mes habits, les buissons indiscernables me repoussaient.
Je m’engloutissais toujours plus profondément dans les entrailles de la forêt. La nuit se mettait à tomber. L’air était lourd, étouffant. La sueur des arbres et des plantes attirait toute sorte de bêtes étranges, des insectes aux couleurs foncées, aux visages maléfiques, qui rampaient sur le sol, sortant de sous la terre pour aspirer la moiteur de la nuit. L’air devenait asphyxiant.
Je courais depuis de longues minutes. J’avais cru entendre les rugissements de mes poursuivants après les premiers mètres. J’avais donc accéléré ma course, jeté mes dernières forces dans les muscles meurtris et brisés de mes jambes, tirant sur chaque os, sur chaque nerf, sur chaque tendon, les sentant se tordre une dernière fois sous ma peau, hurler, crier, souffrir sous le poids de mon corps, pleurer des larmes de sang chaudes. Je m’accrochais aux dernières forces de la vie, comme la mouche tentant désespérément de s’enfuir de la toile que lui a tendue l’araignée.
Et alors, le grondement derrière moi s’est tu. Le silence. Un silence total.
Puis, le bruit des bêtes dans l’herbe. Une odeur de menthe. Une mousse de couleur vert amande collée au tronc d’un chêne. Sur une branche, un merle au plumage noir d’ébène et au museau jaune.
Je m’écroule au pied du chêne. La soif et la fatigue me font tourner la tête. Je lève les yeux. Les arbres se mettent à tanguer autour de moi, leur sommet se balançant de gauche à droite dans un ballet interminable. La lune se détache au loin, entre les branches en mouvement. Toute ronde, blanche, scintillante, noircis çà et là par des cratères minuscules.
Soudain, un avion apparaît dans le ciel. Le bruit maintenant se fait puissant. Les hélices fouettant l’air incessamment. Le vent que l’énorme engin projette sur les bois, faisant se plisser les arbres jusqu’à la souche. Un dialogue étouffé des individus à l’intérieur, hurlant dans le magnétophone. Ils allument alors un immense néon, projetant sa lumière éclatante dans la noirceur de la nuit. Et alors, dans cette lumière, au travers des faisceaux lumineux, j’ai vu ma femme.
Elle descendait du ciel, partie de la lune pour venir me chercher, me sauver, m’emporter loin. Elle descendait lentement, ses longues boucles d’or illuminées, sa robe blanche irisant mon visage, les bras ouverts dans ma direction. Elle souriait de son visage d’ange, une lumière douce et lactescente s’échappant de ses mains nues. Et tandis que de l’avion les tirs recommencèrent, je pleurais des larmes de bonheur, entourant mes bras autour de sa nuque, ses cheveux caressant mon visage, son odeur de miel, la serrant dans mes bras jusqu’à mes dernières forces.
Tracklist:
- Intro
- Retaliation
- Contra (Feat. Killa Sha)
- Speech Cobras (Feat. Mr. Lif)
- Breath of God Interlude
- Death March (Feat. Esoteric & Virtuoso)
- Words from Mr. Len Part One
- I Against I (Feat. Planetary)
- Exertions Remix (Feat. Virtuoso, Esoteric & Bahamadia)
- The Prophecy Interlude
- Heavenly Divine
- Sacrifice
- Permanent Midnight Interlude
- The Deer Hunter (Feat. Chief Kamachi)
- Blood Reign (Feat. DiamondBack, Louis Logic & B.A. Barkus)
- Words from Mr. Len Part Two
- Genghis Khan (Feat. Tragedy Khadafi)
- Trinity (Feat. L-Fudge & Louis Logic)
- The Executioners Dream (Feat. J-Tred)
- Muerte
- Heavenly Divine Remix
- Army of the Pharaohs: War Ensemble (Feat. Esoteric & Virtuoso)
- Untitled
- Retaliation Remix
- Blood Runs Cold (Feat. Sean Price)