La pluie

La pluie tombait sans arrêt depuis plusieurs semaines. Dans le quartier de Hoove Street, le temps semblait s’être arrêté. Le bruit des gouttes d’eau s’écrasant sur le sol et sur les toits résonnait comme l’unique son venant rompre le silence total de la rue. Un épais brouillard s’élevait à quelques mètres du sol, plongeant ce décor dans une sorte d’obscurité constante et brumeuse.

Ces trombes d’eau incessantes semblaient avoir ôté toutes formes de vie dans le quartier. Pourtant, en scrutant attentivement les alentours, on pouvait apercevoir que ses habitants étaient toujours là, suivant le cours de leurs vies comme à l’ordinaire, la mine seulement un peu plus maussade.

Du haut de son appartement, sur son balcon situé au 6ème étage se trouvait George. Comme à son habitude, George se tenait appuyé contre la rambarde, les bras croisés, une cigarette aux lèvres. Les tuiles suspendues au bord du toit lui évitaient d’être trempé.

George tirait de longues bouffées sur sa cigarette, inhalant intensément la fumée qu’il recrachait ensuite lentement, épaisse et blanche dans cet air si froid qui l’entourait. Il regardait, les yeux légèrement tournés vers le bas, les gouttes d’eau déferler interminablement sous ses yeux. Quelques passants se pressaient sur le trottoir, marchant d’un pas pressé, cachés sous leur parapluie. Puis, George releva la tête, et observa son visage sur la vitre d’un appartement de l’immeuble d’en face. Il était flou et difficilement discernable au travers de cette brume. Mais il se reconnaissait parfaitement. Le même visage, les mêmes habits, la même position, accoudé à son balcon comme il l’était depuis tant d’années maintenant. Il se rappelait de ces moments où il avait plusieurs fois hésité à enjamber cette rambarde et à se laisser tomber dans le vide. Ici, dans sa rue, au pied de son immeuble. À la vue de tous.

Mais aujourd’hui, il se sentait bien.

Il baissa à nouveau la tête. Devant sa boutique se tenait Gabriel, les bras croisés, appuyé contre sa porte. Il faisait froid, et pourtant Gabriel ne portait qu’un t-shirt. Le même t-shirt blanc avec lequel il accueillait ses clients depuis tant d’années. Au-dessus de sa tête, le néon bleu accroché à sa porte portant l’inscription « open » grésillait. À l’intérieur, son kiosque était vide. Les gens évitaient de sortir avec ce temps, et Gabriel voyait donc les clients se faire rares. Mais cela ne le dérangeait pas. Il aimait à pouvoir profiter de ces moments où il pouvait sortir de sa boutique et observer la vie du quartier. Le cri des enfants, le bruit de la télévision sortant de l’immeuble d’en face, le tambourinement régulier des machines à laver de la laverie d’à côté, le klaxon des voitures. Parfois, le salut d’un voisin marchant sur le trottoir d’en face. La sonnette d’un vélo.

Mais depuis que la pluie avait fait son apparition, le calme s’était installé. L’agitation avait disparu. Et Gabriel se laissait alors bercer par le clapotis régulier des gouttes d’eau. Souvent douce. Parfois violente. Mais toujours régulière. Il fermait alors les yeux et somnolait quelques instants, rêvant de mille et une choses, avant d’être réveillé par un client à la recherche de fruits, cigarettes ou autres ustensiles de nettoyages qui ornaient les étagères de sa boutique.

En fermant la porte derrière lui, il eut un dernier regard sur sa droite, vers l’entrée de l’immeuble numéro 33. Mais avec cette brumaille et la nuit qui commençait à tomber, il n’aperçut pas qu’au pied des marches se tenait un homme assis, les mains dans les poches, la tête baissée, immobile. C’était Philip.

Philip se trouvait là depuis plusieurs heures. Il était entièrement trempé, du bout de ses cheveux à la pointe de ses pieds. Ses habits lui pesaient lourd. L’eau s’y était infiltrée depuis longtemps, et s’enfonçait désormais à l’intérieur de sa peau, venant geler ses os. Les gouttes s’écrasaient sur son crâne, et partout dégoulinaient le long de son corps, pour ensemble rejoindre sur le sol la coulée de l’eau s’en allant mourir dans la bouche d’égout bientôt débordante.

Les gens du quartier considéraient Philip comme un simple d’esprit. Certaines l’appelaient même l’idiot. Et Philip les entendait dire ces choses. Et lui-même se considérait comme un idiot. Alors il se mettait à pleurer, et ses larmes rejoignaient la pluie qui coulait sur son visage, et alors il baissait encore un peu plus la tête, et il serrait les dents entre chaque sanglot, recevant la douleur de cette eau rageuse contre son dos, et de ces douleurs que le froid lui infligeait.

Et la pluie continuait ainsi de tomber, ses gouttes d’eau suspendues en l’air quelques secondes, observant ce monde, ces images qui se découvraient à elles, avant de s’écraser sur ces mêmes images, ces immeubles, ces trottoirs, ces parapluies, ces individus. Spectatrice un instant d’un monde qu’elles s’apprêtaient à, interminablement, écraser.

Tracklist:

  1. Intro
  2. Inna Citi Life
  3. Livin’ Proof
  4. Serious Rap Shit
  5. Suspended in Time
  6. Sacrifice
  7. Up Against the Wall (Low Budget Mix)
  8. 4 Give My Sins
  9. Baby Pa
  10. 2 Thousand
  11. Supa Star
  12. Up Against the Wall (Getaway Car Mix)
  13. Tha Realness