« I’m lettin off on anybody tryin to steal my DJ »


Pete Rock, c’est un gars bien. Un gars bien doublé d’un fin connaisseur musical. Il suffit de le voir en live ou de jeter un œil sur les artistes qu composent sa bibliothèque sonore. James Brown, Kool And The Gang, The Modern Jazz Quartet, George Benson, Keni Burke et tant d’autres. Le mec transporte dans le dos une armoire musicale plus remplie que les grimoires d’un enchanteur, dans lequel le magicien a inséré les ingrédients si subtils de sa potion magique, un peu comme ces interludes musicaux à la fin de chaque morceau, nous exposant son mélange de genre et d’influence, passant de la soûl au jazz, du blues au funk, du R&NB au gospel, tous ces assaisonnements lui ayant permis de constituer l’ingrédient principal qu’il nous sert encore chaud, tout juste sorti de son chaudron, le dernier album à ce jour d’un groupe qui, tout comme le druide Merlin, est lui aussi entré dans la légende.

Fort de ces influences multiples, c’est pourtant bien dans le rap qu’il choisit de se lancer. Ma première rencontre avec le beatmaker jamaïcain fut sur un certain « Illmatic », d’un certain Nas. Une prod sur l’un des plus grands albums de l’histoire du hip-hop. Le jeune Nasir Jones s’entoure des meilleurs producteurs pour cet album. Et dans le lot des vainqueurs du ticket d’or, notre ami Pete. Une boucle de piano, samplée du morceau « Love Music » d’Ahmad Jamal, et un morceau qui passe à la postérité. « The World Is Yours ». Le ton est donné, le style déjà caractéristique de la palette du bonhomme. Un beat dansant et groovy, travaillé à partir d’un morceau de jazz. Les rues de New York prenent des allures de Sound System géantes, où la danse et le hochement de tête régulier se rencontrent et se marient à merveille.

Une première claque, bientôt suivie d’une deuxième en retour, qui avait déjà laissé un stigmate important dans la cochlée de plus d’un auditeur de rap deux ans auparavant ; T.R.O.Y. Un morceau issu du second album du groupe, « Mecca and the Soul Brother ». La formule ne change pas. Une boucle de saxophone, tiré d’un morceau pop. L’enchanteur a encore frappé. En deux sons, le mec m’a déjà remué dans le ventre plus d’émotions qu’un bon paquet d’albums auxquels j’ai prêté l’oreille. Evidemment, après m’être ingurgité ces deux échantillons de potions magiques, encore enivré, j’en redemande. Tomber dans la marmite étant petit ne suffit pas à faire passer l’envie. Je pars donc à la découverte du duo, prenant la route en sens inverse. Leur dernier album sera ma première rencontre avec les deux comparses. Et quelle rencontre.

Ce qui ressort après l’écoute de Main Ingredient, c’est avant tout une ambiance. L’ambiance d’une fin de journée d’automne, où le soleil, avant de se coucher, laisse derrière lui une traînée ocre dans le ciel, se confondant parfaitement avec les couleurs orangées du paysage environnant, l’odeur du bois et des feuilles fraîchement tombées, craquants sous tes pas, une légère brise partant des reflets du soleil qui viennent caresser le bout de ta nuque, réchauffant ces dernières journées d’avant l’hiver, comme une manière d’exposer une dernière fois ces beautés naturelles qui disparaîtront, bientôt recouvertes de neige, une magnificence apaisante que tes sens accueillent avec calme et plaisir.

Le début de l’album est à ce titre un modèle d’immersion sensorielle. « In the City », suivie de « Carmel City » nous plonge instantanément dans cet univers, une ambiance lisse, doucereuse, mielleuse, « smooth ». Ce dernier trouve d’ailleurs sur les productions de l’album les sonorités idéales, où son flow se fond tel le caramel glissant sur le flan tout juste retourné, une mixture parfaite entre ces instrumentales léchées et ce flow coulant. La suite de l’album navigue entre rythmes funk, blues ou pop, gardant malgré ces nombreuses influences une cohérence sonore si caractéristique du génial producteur.La deuxième partie de l’album démarre sur les mêmes bases que le début, s’ouvrant sur le magnifique « All the Places », enchaînant avec le non moins superbe « Take You There », pour (presque) se conclure sur l’envoûtant « It’s on You », terminant notre ballade sur cette boucle de piano apaisante, laissant flotter sou nos narines les derniers arômes de cette composition parfaite, ce parfum clair et léger, concluant la courte mais pourtant si riche collaboration des deux amis, se séparant peu de temps après la sortie de l’album

Une des forces principales de cet album réside dans cette harmonie sonore qui accompagne chaque morceau. Une brise aérienne et enivrante qu’a réussi à insuffler le « Soul Brother », aux antipodes des productions de l’époque, où la musique au sens le plus premier du terme trouve ici l’espace idyllique pour se déposer et se manifester, où chaque piste nous fait découvrir son univers propre, son écosystème au-dessus duquel les doigts du producteur agissent comme les rayons du soleil les éclairant et leur donnant vie.

Le temps passant, la redécouverte de cette légende du hip-hop nous permet de réaliser à quel point la force de cette musique, parfois décriée, prend alors une puissance et une dimension supérieure. Pete Rock a donné au rap ses notes de noblesses, démontrant aux plus sceptiques auditeurs la beauté de celle-ci, forçant à qui refusait de l’entendre d’admettre sa profondeur et sa complexité, exposant l’héritage qu’elle porte en elle de cette culture musicale la précédant et par laquelle elle a été forgée. Ce mélange qui, dans les mains d’un maître alchimiste, se transforme en l’un des ingrédients essentiels qui ornent aujourd’hui les étagères du laboratoire si riche et varié de la musique rap.

Pete Rock est donc un type bien. Si CL est moins mentionné, il n’en est pas moins indispensable dans la force du groupe. Peu évoqué lors des débats sur les grands mcs des années 90, il le doit peut-être en partie à la suite de sa carrière solo, où l’alchimie qui s’opérait avec son DJ attitré est moins flagrante dans la suite de son parcourt musical. Il demeure néanmoins un rappeur extrêmement talentueux qui, dans la même lignée que Guru avec Gangstarr, a permis, de par son flow simple mais précis, la mise en lumière de leur beatmaker respectif.

Une lumière qui continue de scintiller une fois la ballade terminée et le soleil prêt à se coucher, quand, une fois chez toi, tu observes de ta fenêtre la tracée rose à l’horizon, dévoilée par les nuages se dissipant lentement, la fraîcheur de l’air encore vif sur tes joues rougis, la respiration calme et détendue, une sensation de légèreté dans l’estomac, un sourire au coin des lèvres. Ce fût une belle promenade.

« Here’s the hottest joint on lockdown, ready for relase what they call a masterpiece… »

Tracklist:

  1. In The House
  2. Carmel City
  3. I Get Physical
  4. Sun Won’t Come Out
  5. I Got a Love
  6. Escape
  7. The Main Ingredient
  8. Worldwide (Feat. Rob-O)
  9. All the Places
  10. Tell Me
  11. Take You There
  12. Searching
  13. Check It Out
  14. In the Flesh (Feat. Rob-O & Deda)
  15. It’s on You
  16. Get on the Mic